Interview du Dr Moise Essoh, Secrétaire Exécutif du CODE - Originel:Après les manifs de Paris, le CODE va encore frapper fort!
Moïse Essoh est le leader de la branche du CODE
qui a manifesté bruyamment à Paris du 21 au 25 juillet dernier. On se
souvient alors que la presse française, l'a propulsé au devant de la
scène mondiale à l'occasion de la récente visite officielle de Paul
Biya en France. En dehors de Bakary Issa Tchiroma vraissemblablement,
toute la délégation camerounaise conduite par le chef d'Etat
Camerounais ne l'a donc pas loupé. Auroélé du succès de son mouvement
anti-Biya à Paris, le leader du Code garde cependant le triomphe
modeste. Dans une interview exclusive qu'il a accordée à la rédaction
de Camer.be il revèle le plan qui a mené au succès de leurs activités
ainsi que l'avenir du Code. Il précise au passage ses rapports avec
d'autres mouvements de la diaspora camerounaise.
Moïse Essoh, vous avez organisé une manifestation devant l'assemblée nationale à Paris le 21 juillet dernier, quel message vouliez-vous porter à l'attention des parlementaires français à cette occasion?
Le CODE et ses partenaires, à travers cette manifestation, ont interpelé les représentants du peuple français pour qu’ils assument ou qu’ils se positionnent clairement sur les honneurs qui ont été rendus au chef de la dictature sanguinaire et corrompue qui sévit dans notre pays le Cameroun. En effet, comme l’a indiqué l’extrait de mon interview qui a été diffusée dans le journal de 08H00 de France Inter le mercredi 23 juillet, nous voulions dire aux Français qu’il n’était pas cohérent ni honorable pour la France, une des démocraties les plus avancées du monde, de soutenir des dictatures sanguinaires et corrompues, au motif qu’elle défend ses intérêts. Surtout lorsque ces intérêts ne sont pas ceux de la France en tant qu’Etat, mais plutôt ceux de quelques hommes d’affaires proches du pouvoir français. Cette manifestation tout comme la conférence de presse fort suivie qui a eu lieu dans la matinée, a été l’occasion pour nous d’éclairer l’opinion française sur ce que les Camerounais endurent depuis 27 ans : massacres et violations permanentes des droits humains, mascarades électorales à répétition avec des soi-disant organes de supervision des élections comme ELECAM, corruption endémique dont M. Biya lui-même a été épinglé par le récent rapport du CCFD. Enfin, nous avons appelé les Français à travers leurs députés, à interroger leurs dirigeants sur l’incohérence entre une politique inhumaine de « gestion des flux migratoires » et le soutien aux dictatures comme celle du Cameroun, qui génèrent cette émigration massive.
Avec l’association « Survie », nous avons également tenu à informer les Français eux-mêmes, pour qu’ils sachent que la Françafrique est une réalité plus tangible que jamais, et que cette Françafrique, dont le dictateur Biya est actuellement le nouveau « doyen » (car ça semble être un honneur pour lui que d’être un « doyen » d’une telle mafia politico-financière), dessert en vérité les intérêts du peuple français. Nous savions que cette interpellation allait attirer plus de médias français que si nous allions manifester ailleurs.
Enfin, il était également question pour nous de contrecarrer la communication mensongère dont le régime de M. Biya allait une fois de plus abreuver les Français mais surtout les Camerounais, comme pour dire « Parlez toujours, Sarko est avec moi ». Et je pense que nous avons largement atteint nos objectifs. Cette visite de M. Biya a permis à la majorité des Français de se rendre compte de la nature dictatoriale de M. Biya, et de l’autre côté, le dictateur camerounais n’a pas pu tirer le moindre bénéfice politique de cette visite. C’est rien du tout comme victoire, mais le changement viendra aussi de la somme de ces petites victoires. Elles ne sont pas à négliger.
La branche du Code que vous dirigez a rencontré les cadres du PS français dans la foulée de la manifestation sus-indiquée. Comment cela s'est-il passé au palais Bourbon et que retenir de cette séance de travail?
Oui, en effet, le soir même de la manifestation, nous avons été reçus, mais pas par les bonnes personnes, qui n’étaient pas disponibles. Nous avons alors refusé d’être reçus si rapidement et sans profondeur. Le lendemain matin donc, une délégation du CODE a été longuement reçue par des députés socialistes et du groupe GDR (verts, parti communiste, entre autres). La séance de travail s’est très bien passée, d’autant plus que nous avions concocté un épais dossier à l’attention des parlementaires, dossier que nous avions déjà envoyé aux concernés bien avant l’arrivée du dictateur Biya en France. C’est d’ailleurs un résumé de ce dossier, destiné à la presse, que camer.be avait publié en version PDF en même temps que notre communiqué peu avant l’arrivée du dictateur. Il n’y avait donc plus grand-chose à argumenter, sinon convaincre le groupe socialiste d’interpeller le président Sarkozy sur la visite e Biya. C’est ce que nous avons réussi à faire, et qui s’est concrétisée par la lettre du président du groupe socialiste, M. Ayrault, à Sarkozy.
Le chef du groupe parlementaire PS M. Ayrault demande désormais à Nicolas Sarkozy, le chef d'Etat français, de reprendre la feuille de route de La baule (vent de démocratisation de l'Afrique des années1990). Estimez-vous que le CODE récolte déjà là les premiers fruits de son opposition contre Paul Biya?
Comme je l’ai dit plus haut, il ne s’agit que d’une petite victoire contre l’exploitation politique que le régime dictatorial RDPC-Biya allait faire de la visite de son chef. Parler de fruits est trop prématuré, car le combat est encore très long, et ce qui s’est fait ici ne fait que partie du début. Et puis, le fruit, pour nous, ce sera le changement réel du Cameroun, dont la première et incontournable étape est le départ de M. Biya du pouvoir. « Biya must go » est pour nous la première étape, une étape indispensable, mais pas suffisante. Juste une chose encore sur la lettre du président du groupe socialiste : faire référence au discours de La Baule n’est pas la meilleure des références, le CODE en est parfaitement conscient, surtout que celui qui avait lancé cet appel en 1990 a lui-même continué avec le système mafieux de la Françafrique. Mais pour nous, le but de cette opération était d’obliger Sarkozy à se prononcer sur la situation politique et des Droits Humains au Cameroun, et de condamner ouvertement, même implicitement, son ami Biya.
Selon nos sources, vous êtes le principal leader du CODE qui a manifesté contre Paul Biya devant le parlement français. Brice Nitcheu a, de son côté, prévu de s'attaquer à la délégation camerounaise notamment en lui lançant des œufs pourris ainsi que des tomates. Êtes-vous concernés par ces actions?
Cela m’embête beaucoup d’avoir à répondre à cette question, parce que je connais les polémiques qui ne manqueront pas d’y succéder. Mais je sais également que beaucoup de compatriotes, qui ne nous connaissent pas vraiment, qui ont lu le matraquage médiatique autour de cette prétendue opération « Tomates Œufs Pourris » et qui n’ont rien vu, se posent des questions. J’insiste donc que c’est avec un certain regret que je réponds à votre question.
Nous n’avons pas du tout été concernés par l’opération que vous citez. J’irai même plus loin, le battage médiatique sur cette « opération », alors que ses annonceurs ne l’avaient ni sérieusement préparée, ni même commencée, nous a handicapé. Comme vous dites, il a annoncé qu’il « s’attaquerait, traquerait, balancerait des œufs, etc. ». Nous ne sommes pas contre ce type d’action, et d’ailleurs, nous avions envisagé justement de faire une véritable opération « coup de poing », mais à Bordeaux où nous savions que l’accessibilité de l’autocrate aurait été plus facile. Et bien avant l’arrivée du dictateur, nous avions même pris contact avec nos compatriotes du CCD et même celui que vous citez, pour envisager ensemble une pareille opération, malgré nos divergences. Si nous n’avons hélas pas pu convaincre tout le monde, c’est surtout le battage médiatique qui annonçait un déchaînement de violence contre Biya qui a mis la police française dans une telle alerte que cela nous a empêchés d’être efficaces pour ce genre d’action. Conclusion, nous avons renoncé en dernière minute à aller à Bordeaux, car, très probablement, nous n’aurions pas été arrêtés pour quelques heures comme ce fut le cas à Paris le mercredi 23 pour notre secrétaire à la communication, Tene Sop et notre représentant du CODE à Paris, Emeh Elong, mais nous aurions été arrêtés pour plusieurs jours, au moins jusqu’au départ de M. Biya, ce qui aurait été contre-productif. Finalement, nos amis de « Survie » Bordeaux ont dû seuls mener une opération de perturbation de la visite du dictateur sur place. S’il y a une première leçon à tirer de tout ça, c’est qu’il faut désormais crier moins et agir plus. Il faut se libérer de l’obsession d’occuper sans cesse le devant des journaux et des sites internet. Pour moi, c’est cette obsession qui a poussé par exemple le groupe de Nitcheu à diffuser tous azimuts des tracts avec leur logo et leurs références, mais qui reprenaient des activités organisées par d’autres groupes (le CCD pour la manif de 15H00 devant l’ambassade et nous à 17H00 devant l’Assemblée nationale), en donnant l’impression que c’est eux qui en étaient les organisateurs. Tout ceci pour brouiller les pistes et « rester dans la course », une course que certains opposants font dans les médias pour se faire un nom, et que je déplore sincèrement, surtout quand rien de concret ne suit. Nous au CODE, nous avions choisi de ne pas dénoncer ces tracts avant l’arrivée et le départ de M. Biya, pour ne pas offrir aux défenseurs clientélisés du RDPC l’occasion de faire diversion sur l’essentiel. Je voudrais fermer cette parenthèse en indiquant que le peuple, qui continue de souffrir tous les jours encore plus, a besoin d’une opposition bien formée, sérieuse, déterminée et ingénieuse, car l’ennemi en face n’est pas négligeable, sinon il ne serait plus là.
Le chef de l'Etat camerounais qui a séjourné en France a rencontré officiellement son homologue français le 24 juillet. Quel commentaire vous inspire cette rencontre au sommet?
D’abord, nous avons pris acte que lors de cette rencontre, le président Sarkozy a bien été obligé de parler de démocratie et de Droits humains à son ami le dictateur Biya, pour lui demander de faire un effort, ce qui signifie qu’il n’a pas encore fait assez, bien que nous sachions tous que le dictateur agit plutôt contre la démocratie. Même si nous savons que le but de cette interpellation de M. Sarkozy, pour lui, n’était que de respecter la démocratie française, puisque qu’il avait été lui-même interpellé par des députés, pour nous, cela fait partie de la victoire du combat contre cette visite. Naturellement, la rencontre entre les deux Chefs d’Etat servait à introniser notre dictateur local comme nouveau doyen de la Françafrique, et cela a été fait. Ce combat contre la Françafrique continue donc, car la solution pour le Cameroun passe aussi par ce combat, pas seulement, mais aussi.
Quelle est la suite de vos activités, celle du Code, après la visite officielle du président camerounais en France?
Nous sommes en diaspora – pour le préciser à certaines personnes qui n’ont pas compris ce que ça signifie – et naturellement, il y a des choses que nous pouvons faire et d’autres qui ne peuvent être faites qu’à l’intérieur.
Ce que nous pouvons déjà vous annoncer que nous allons faire, c’est nous renseigner pour exploiter du mieux que nous pourrons non seulement le rapport du CCFD, mais également tous les documents dont nous pourrons disposer pour traîner M. Biya devant les tribunaux pour détournements de fonds et biens mal acquis. Vous avez déjà vu que notre partenaire, « Survie », a déjà commencé le travail en indexant les avoirs monégasques de Frank Biya. Nous nous appuierons donc sur des associations qui ont déjà un savoir-faire dans ce domaine, puisque MM Bongo et Sassou ont pu être inquiétés et sont en cours de poursuite par la justice française pour biens mal acquis.
Nous allons également renforcer l’information sur la réalité de la nature dictatoriale et sanguinaire du régime RDPC-Biya, et continuer d’œuvrer à l’isolement de ce régime partout hors de France, puisque tant que la Françafrique persistera, la France sera le dernier pays à abandonner une dictature sanguinaire mais qui lui est servile. Si Mugabe, dont le parti a quand même perdu les élections législatives, ce qui n’arrivera jamais au RDPC même au plus bas de sa popularité à cause des mascarades électorales à répétition, si donc Mugabe a pu être tant diabolisé alors qu’à notre sens il est beaucoup moins dictateur que Biya, pourquoi pas Biya, même si le gouvernement français lutte pour lui sauver la peau ? Nous pensons que c’est possible, même si c’est difficile. C’est l’un de nos rôles, à nous diaspora patriotique, démocratique et progressiste.
Pour le reste des activités, vous le saurez bien en temps utile.
© Camer.be : Hermann Oswald G'nowa